Hexagone Balard, le penthagone de la France

Son nom officiel est désormais «Hexagone Balard» et cette judicieuse trouvaille permettra de ne plus entendre parler du «Pentagone à la française». Le nouveau ministère de la Défense, construit sur les terrains que l’armée possède depuis des lustres dans le quartier de Balard, va enfin pouvoir se débarrasser des encombrantes comparaisons avec le modèle américain. Même si c’est bien lui qui a inspiré Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a lancé en 2010 cette gigantesque opération de regroupement des états-majors que François Hollande inaugure jeudi.
L’édifice que le Président va parcourir n’est pas sans rapport avec la forteresse médiévale telle qu’on la décrit à l’école. Dehors, de hauts murs bien larges et bien clos. Dedans, la vie du village qui peut continuer même si on a relevé les ponts-levis. En version contemporaine, cela donne 140 000 m2 de bureaux, protégés par des murs de béton dont l’épaisseur pourrait «permettre de se passer d’isolation», plaisantait Cyril Trétout, l’un des architectes de l’agence Nicolas Michelin lors d’une visite. Mais aussi – insoupçonnables de l’extérieur – des jardins, crèches, restaurants, un coiffeur, des vélos. Le village en somme. «Les jardins représentent 60% de la surface au sol car les bâtiments sont construits sur pilotis, explique Nicolas Michelin. On ne le perçoit pas du tout de dehors, pour des raisons de sécurité.»
S’ajoute à cela, bien sûr, une technologie tip-top, encore mieux cachée que le reste, dans le centre du quadrilatère de la forteresse. Le bâtiment du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) a une forme d’hexagone (coup de chance pour le nom). On ne peut pas décrire ce qui se trouve à l’intérieur car le saint des saints n’est pas montré aux journalistes, qui visitent seulement les bureaux autour. Il n’est d’ailleurs pas non plus dévoilé aux yeux des satellites trop curieux : le gros œuvre, pieux et dalle, a été construit en premier. Après quoi, le service d’architecture de l’armée et Thalès ont aménagé tout ça en sous-sol, bien à l’abri des regards. Y compris de ceux des architectes.

Béton nu, gai comme un bunker

Dans cette affaire, qui commande ? L’armée, bien sûr, qui aura été à la manœuvre tout du long. Dans les patios intérieurs, Nicolas Michelin aurait bien voulu des façades de couleur. Pas question. On en reste au bleu et au vert, teintes militaires. En passant sur le boulevard périphérique, on aperçoit un morceau de ces carrelages et on constate que le maître d’œuvre a quand même obtenu de jolis bleus et de beaux verts. C’est déjà ça. Il a aussi habillé l’extérieur de blanc, «couleur de la paix».
Gros échec en revanche pour l’œuvre d’art qui devait orner le hall. L’intervention de l’artiste Emmanuel Saulnier, intitulée Vivre libre, avait pourtant été acceptée dès 2011 par la délégation pour le regroupement des états-majors et services centraux de la défense (Dresd). Le ministre de l’époque, Gérard Longuet, a annulé la commande. La gauche ne l’a pas reprise. L’architecte en a parlé au président de la République mais peine perdue. Ce mot d’ordre aurait déplu dans les hauts grades qui auraient préféré des idées du genre bravoure et courage, explique un proche du dossier. Résultat : on entre dans le ministère face à mur de béton nu, gai comme un bunker. Mais capable de résister à un missile.
L’autre commandant des opérations, c’est Bouygues. Associée à Thalès dans le consortium Opale, la major du BTP a remporté en 2011 la consultation de partenariat public-privé (PPP) lancée par l’Etat pour la construction du projet. Nicolas Sakozy rêvait en effet d’un Pentagone mais n’avait pas les moyens de se l’offrir. D’où l’idée du PPP. Dans cette formule, la compétition oppose des constructeurs qui assureront l’investissement, le chantier puis la maintenance de l’édifice pendant trente ans. Le lauréat se retrouve propriétaire du bâtiment et l’occupant lui paie des loyers. 150 millions par an en l’espèce.

2 274 euros pour la pose de deux prises de courant

Des loyers et des suppléments. Depuis qu’ils ont commencé à s’installer en octobre, les militaires ont découvert que chaque aménagement leur était facturé par Opale. Et au prix fort : 2 274 euros pour la pose de deux prises de courant, a révélé le magazine Challenges. L’armée va apprécier les joies du PPP qui a été un temps paré des vertus du report de la dette mais apparaît de plus en plus comme une bombe financière à retardement.
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